
La dégradation des sols représente une menace silencieuse mais dévastatrice pour l’humanité. Face à ce défi, le droit international de la gestion durable des sols émerge comme un cadre normatif en construction. Entre souveraineté nationale et préoccupation commune de l’humanité, ce domaine juridique tente de concilier les impératifs de production alimentaire, de protection environnementale et de développement économique. Pourtant, malgré l’urgence, la fragmentation des instruments juridiques et l’absence de traité mondial contraignant limitent l’efficacité des réponses. Ce panorama juridique analyse les fondements, mécanismes et perspectives d’évolution du droit international face à l’impératif de préservation du patrimoine pédologique mondial.
Les fondements juridiques de la protection internationale des sols
Le droit international de la gestion durable des sols se caractérise par l’absence d’un instrument juridique global et contraignant spécifiquement dédié à cette ressource. Cette situation contraste avec d’autres composantes environnementales comme l’atmosphère ou la biodiversité qui bénéficient de conventions-cadres dédiées. La protection juridique des sols s’est ainsi construite de manière fragmentée, à travers différents instruments dont la vocation première n’est pas nécessairement la préservation pédologique.
La Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), adoptée en 1994, constitue l’instrument juridique international le plus directement lié à la protection des sols. Bien que centrée sur les zones arides, semi-arides et subhumides sèches, cette convention aborde la dégradation des terres dans une perspective holistique. Son article 2 fixe comme objectif de « lutter contre la désertification et d’atténuer les effets de la sécheresse […] grâce à des mesures efficaces à tous les niveaux ». La CNULCD a progressivement élargi son champ d’action pour intégrer le concept de neutralité en matière de dégradation des terres (NDT), défini comme « un état dans lequel la quantité et la qualité des ressources terrestres nécessaires pour soutenir les fonctions et services écosystémiques et renforcer la sécurité alimentaire restent stables ou augmentent ».
D’autres instruments internationaux contribuent indirectement à la protection des sols. La Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992 protège la biodiversité des sols à travers ses dispositions générales. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) reconnaît le rôle des sols comme puits de carbone. Les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, notamment l’ODD 15, visent à « préserver et restaurer les écosystèmes terrestres » avec une cible spécifique (15.3) qui appelle à « lutter contre la désertification, restaurer les terres et sols dégradés ».
Les principes directeurs émergents
Plusieurs principes du droit international de l’environnement s’appliquent à la gestion des sols :
- Le principe de prévention, qui oblige les États à prévenir les dommages environnementaux transfrontaliers
- Le principe de précaution, permettant d’agir sans attendre la certitude scientifique face à des risques graves
- Le principe du développement durable, visant l’équilibre entre développement économique et protection environnementale
- Le principe des responsabilités communes mais différenciées, reconnaissant les capacités variables des États
Les Directives volontaires pour une gestion durable des sols adoptées par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en 2016 représentent une avancée significative. Bien que non contraignantes, elles établissent un cadre de référence mondial pour la protection des sols. Ces directives définissent la gestion durable des sols comme englobant « les activités qui maintiennent ou améliorent les services de soutien, d’approvisionnement, de régulation et culturels fournis par les sols sans compromettre significativement les fonctions des sols ».
La tendance récente vers la reconnaissance des sols comme bien commun de l’humanité pourrait constituer un tournant dans l’évolution du droit international. Cette approche, encore émergente, remet en question la conception traditionnelle des sols comme relevant exclusivement de la souveraineté nationale, pour les considérer comme un patrimoine commun nécessitant une gouvernance partagée.
Les mécanismes juridiques de mise en œuvre et leur efficacité
La mise en œuvre du droit international de la gestion durable des sols repose sur une architecture institutionnelle complexe et des mécanismes variés dont l’efficacité demeure inégale. Cette section analyse les principaux instruments et institutions qui contribuent à l’application concrète des normes juridiques relatives à la protection des sols.
Au niveau institutionnel, plusieurs organisations internationales jouent un rôle déterminant. La FAO, à travers son Partenariat mondial sur les sols créé en 2012, coordonne les initiatives internationales et facilite l’échange de connaissances scientifiques. Le secrétariat de la CNULCD supervise l’application de la Convention et fournit une assistance technique aux pays parties. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) contribue à l’élaboration de politiques environnementales intégrant la dimension pédologique.
Les mécanismes de mise en œuvre comprennent des obligations de rapportage pour les États parties aux conventions pertinentes. Dans le cadre de la CNULCD, les pays doivent soumettre des rapports nationaux détaillant les mesures prises pour lutter contre la désertification et la dégradation des terres. Ces rapports font l’objet d’une évaluation par le Comité chargé de l’examen de la mise en œuvre de la Convention (CRIC). Ce système permet un suivi régulier des progrès réalisés, mais son efficacité dépend largement de la qualité et de la fiabilité des informations fournies par les États.
Financement et transfert de technologies
Le Mécanisme mondial de la CNULCD a pour mission de mobiliser des ressources financières pour soutenir la mise en œuvre de la Convention. Il travaille en partenariat avec le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), qui constitue le principal mécanisme de financement multilatéral dans ce domaine. Pour la période 2018-2022, le FEM a alloué environ 475 millions de dollars à des projets liés à la gestion durable des terres.
Le transfert de technologies représente un autre mécanisme fondamental. Le Comité de la science et de la technologie de la CNULCD facilite la coopération scientifique et technique entre pays développés et en développement. L’Interface science-politique (SPI) de la Convention traduit les connaissances scientifiques en recommandations politiques accessibles aux décideurs.
L’efficacité de ces mécanismes se heurte à plusieurs obstacles. Le manque de ressources financières adéquates limite considérablement la mise en œuvre des programmes de gestion durable des sols, particulièrement dans les pays en développement. L’absence de sanctions en cas de non-respect des engagements affaiblit le caractère contraignant des obligations internationales. La fragmentation institutionnelle entre différentes organisations et conventions entraîne parfois des chevauchements ou des lacunes dans la couverture juridique.
Des initiatives récentes tentent de renforcer l’efficacité des mécanismes existants. Le Programme de définition des cibles de neutralité en matière de dégradation des terres (PDC NDT) aide les pays à établir des objectifs nationaux volontaires et à identifier des mesures concrètes pour les atteindre. À ce jour, plus de 120 pays se sont engagés dans ce processus. Le Fonds pour la neutralité en matière de dégradation des terres, lancé en 2017, vise à mobiliser des capitaux privés pour financer des projets de restauration des sols et de gestion durable des terres.
L’évaluation de l’impact réel de ces mécanismes reste difficile en raison du manque d’indicateurs standardisés et de systèmes de suivi harmonisés. Les efforts actuels pour développer un cadre mondial d’indicateurs sur la santé des sols, sous l’égide du Partenariat mondial sur les sols, pourraient améliorer la mesurabilité des progrès accomplis et renforcer ainsi l’efficacité des instruments juridiques internationaux.
L’articulation entre droit international et législations nationales
La mise en œuvre effective du droit international de la gestion durable des sols dépend fortement de sa transposition dans les ordres juridiques nationaux. Cette articulation entre normes internationales et législations domestiques présente des défis particuliers dans un domaine où la souveraineté nationale sur les ressources naturelles constitue un principe fondamental.
Le processus de domestication des normes internationales varie considérablement selon les traditions juridiques. Dans les systèmes monistes, les traités internationaux ratifiés s’intègrent directement dans l’ordre juridique interne, tandis que les systèmes dualistes nécessitent une législation nationale spécifique pour transposer les obligations internationales. Cette distinction influence la rapidité et l’étendue de l’incorporation des normes internationales relatives à la gestion des sols.
Plusieurs pays ont développé des législations nationales spécifiques aux sols. L’Allemagne a adopté en 1998 une Loi fédérale sur la protection des sols (Bundes-Bodenschutzgesetz) qui établit un cadre complet pour prévenir la dégradation des sols et restaurer les sites contaminés. La Suisse a intégré la protection des sols dans sa Loi sur la protection de l’environnement, avec une Ordonnance sur les atteintes portées aux sols qui fixe des valeurs limites pour les polluants. Le Brésil a mis en place un Programme national de lutte contre la désertification qui traduit les engagements pris dans le cadre de la CNULCD.
Exemples de bonnes pratiques et défis persistants
Certaines approches nationales se distinguent par leur caractère innovant :
- La France a introduit dans son Code civil (article 1386) la reconnaissance des sols comme « éléments du patrimoine commun de la nation », établissant un fondement juridique pour leur protection
- La Corée du Sud a développé un système de certification de la qualité des sols qui encourage les pratiques agricoles durables
- L’Inde a lancé un programme national de cartes de santé des sols (Soil Health Card Scheme) fournissant aux agriculteurs des informations personnalisées sur l’état de leurs sols
Malgré ces avancées, l’articulation entre droit international et législations nationales se heurte à plusieurs obstacles. La capacité institutionnelle limitée de nombreux pays en développement entrave l’élaboration et l’application de cadres juridiques efficaces. Les conflits entre objectifs de développement économique à court terme et impératifs de protection des sols à long terme conduisent parfois à l’adoption de législations aux ambitions réduites. La multiplicité des acteurs impliqués dans la gestion des sols (ministères de l’agriculture, de l’environnement, de l’aménagement du territoire) complique la coordination des politiques nationales.
Les approches régionales jouent un rôle croissant dans l’harmonisation des législations nationales. L’Union européenne a développé une Stratégie thématique en faveur de la protection des sols, bien que la proposition de Directive-cadre sur les sols ait été retirée en 2014 faute de consensus entre États membres. La Convention africaine sur la conservation de la nature et des ressources naturelles (Convention de Maputo) inclut des dispositions spécifiques sur la conservation et l’amélioration des sols.
L’approche multi-niveaux de la gouvernance des sols semble particulièrement adaptée à la nature de cette ressource, dont la gestion relève à la fois d’enjeux locaux et globaux. Le principe de subsidiarité, qui suggère que les décisions doivent être prises au niveau le plus proche possible des citoyens tout en garantissant l’efficacité de l’action, trouve ici une application pertinente. Les initiatives comme les Plans d’action régionaux dans le cadre du Partenariat mondial sur les sols illustrent cette articulation entre différentes échelles de gouvernance.
Le renforcement des mécanismes de suivi et d’évaluation des législations nationales par rapport aux engagements internationaux pourrait améliorer la cohérence entre ces différents niveaux normatifs. L’élaboration d’indicateurs harmonisés de la qualité des sols, utilisables tant au niveau national qu’international, constitue une piste prometteuse pour mesurer les progrès accomplis et identifier les lacunes persistantes.
Les défis spécifiques de la protection juridique des sols agricoles
Les sols agricoles occupent une place particulière dans le droit international de la gestion durable des sols. Supports de la production alimentaire mondiale, ces sols subissent des pressions intenses et spécifiques qui nécessitent des réponses juridiques adaptées. Cette section examine les enjeux propres à la protection juridique de cette catégorie de sols au carrefour de multiples préoccupations.
La sécurité alimentaire constitue l’enjeu premier associé aux sols agricoles. Avec une population mondiale qui devrait atteindre 9,7 milliards d’habitants d’ici 2050 selon les Nations Unies, la préservation de la fertilité des sols cultivables devient un impératif stratégique. Pourtant, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture estime que 33% des sols mondiaux sont modérément à fortement dégradés, compromettant leur capacité productive à long terme. Ce paradoxe entre nécessité de produire davantage et dégradation des moyens de production pose un défi juridique majeur.
Le cadre juridique international relatif aux sols agricoles s’articule autour de plusieurs instruments. Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture reconnaît l’importance des pratiques agricoles qui préservent la biodiversité des sols. Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers de la FAO abordent la question de l’accès aux terres et de leur gestion durable. Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale a adopté des Principes pour un investissement responsable dans l’agriculture qui incluent la protection des ressources naturelles, dont les sols.
La régulation des pratiques agricoles
La régulation juridique des pratiques agricoles affectant les sols présente des difficultés particulières. L’équilibre entre prescriptions contraignantes et incitations volontaires fait l’objet de débats constants. Plusieurs approches coexistent :
- L’encadrement de l’usage des produits phytosanitaires à travers des instruments comme la Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable
- La promotion de l’agriculture de conservation via des programmes de paiements pour services environnementaux
- La certification des produits issus de pratiques respectueuses des sols, comme les labels agriculture biologique
La question de l’artificialisation des sols agricoles par l’urbanisation et les infrastructures représente un défi croissant. Selon la Banque mondiale, l’expansion urbaine pourrait entraîner la perte de 1,8 à 2,4% des terres agricoles mondiales d’ici 2030, principalement dans les régions les plus fertiles. Face à cette menace, certains pays ont développé des mécanismes juridiques de protection : zones agricoles protégées, compensation écologique obligatoire, ou objectifs de réduction de l’artificialisation nette.
La concentration foncière et l’accaparement des terres (land grabbing) constituent une autre problématique majeure. L’acquisition à grande échelle de terres agricoles par des investisseurs étrangers, notamment dans les pays en développement, soulève des questions de souveraineté alimentaire et de droits des communautés locales. Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers tentent d’encadrer ces pratiques, mais leur caractère non contraignant limite leur efficacité.
Le changement climatique introduit une dimension supplémentaire dans la protection juridique des sols agricoles. D’une part, ces sols sont vulnérables aux impacts climatiques (sécheresses, inondations, salinisation). D’autre part, ils peuvent contribuer à l’atténuation du changement climatique par le stockage du carbone. L’Initiative 4 pour 1000, lancée lors de la COP21 en 2015, vise à augmenter la teneur en carbone des sols agricoles de 0,4% par an pour compenser une partie significative des émissions de gaz à effet de serre. Cette initiative illustre l’émergence d’approches juridiques multidimensionnelles qui reconnaissent les co-bénéfices de la gestion durable des sols.
La protection des savoirs traditionnels liés à la gestion des sols agricoles fait l’objet d’une attention croissante dans le droit international. Le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages reconnaît la contribution des communautés autochtones et locales à la conservation de la biodiversité agricole. La préservation juridique de ces savoirs constitue un enjeu tant culturel qu’agronomique.
L’évolution vers des approches plus intégrées comme l’agroécologie, qui considère l’exploitation agricole comme un écosystème, pourrait influencer le développement futur du droit international des sols agricoles. Cette perspective systémique nécessite des instruments juridiques qui dépassent les cloisonnements sectoriels traditionnels pour aborder simultanément les dimensions environnementale, sociale et économique de la gestion des sols.
Vers un traité mondial sur la protection des sols : opportunités et obstacles
Face à la fragmentation actuelle du droit international relatif aux sols, l’idée d’un instrument juridique global et contraignant gagne du terrain dans les discussions internationales. Cette section examine les perspectives d’élaboration d’un traité mondial spécifiquement dédié à la protection des sols, en analysant les opportunités qu’il pourrait offrir et les obstacles à surmonter.
Les arguments en faveur d’un traité mondial sont multiples. L’approche fragmentée actuelle laisse des lacunes juridiques significatives, notamment concernant les sols qui ne sont pas directement visés par la désertification ou la perte de biodiversité. Un instrument global permettrait d’établir une vision commune et des principes directeurs harmonisés pour la gestion durable des sols à l’échelle planétaire. Il offrirait un cadre pour renforcer la coopération internationale et la coordination des politiques nationales.
Plusieurs initiatives ont déjà exploré cette voie. Le Club alpin autrichien a proposé en 2002 un projet de « Convention pour la protection durable des sols« . En 2009, un groupe d’experts internationaux a élaboré un Protocole pour la protection et l’utilisation durable des sols, conçu comme un instrument juridiquement contraignant. Plus récemment, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a adopté en 2021 une résolution appelant à « envisager l’élaboration d’une convention mondiale juridiquement contraignante sur la gestion durable des sols ».
Contenu potentiel d’un traité mondial
Un traité mondial sur la protection des sols pourrait inclure les éléments suivants :
- Une définition juridique internationalement reconnue des sols et de leurs fonctions
- Des objectifs quantifiables de réduction de la dégradation des sols et de restauration des terres dégradées
- Des obligations procédurales concernant l’évaluation des impacts sur les sols des projets et politiques
- Un mécanisme de financement dédié pour soutenir les actions de conservation et de restauration
- Un système de suivi et de vérification basé sur des indicateurs harmonisés
- Des procédures de règlement des différends et de contrôle du respect des obligations
Malgré ces avantages potentiels, de nombreux obstacles se dressent sur la voie d’un traité mondial. La réticence de certains États à accepter des contraintes internationales sur la gestion de leurs ressources terrestres constitue un frein majeur. La perception des sols comme relevant principalement de la souveraineté nationale, contrairement à l’atmosphère ou aux océans, complique l’établissement d’un régime juridique international contraignant.
Les difficultés techniques liées à la grande variabilité des sols et des contextes socio-économiques posent des défis pour l’élaboration de normes universellement applicables. L’hétérogénéité des capacités nationales en matière de surveillance et de mise en œuvre nécessiterait des mécanismes différenciés d’assistance technique et financière.
Le contexte politique international actuel, marqué par un certain repli sur les préoccupations nationales et une méfiance envers le multilatéralisme, n’est pas particulièrement favorable à la négociation de nouveaux traités environnementaux ambitieux. La concurrence entre priorités environnementales globales (climat, biodiversité, pollution plastique) pourrait marginaliser la question des sols dans l’agenda diplomatique.
Des approches alternatives ou complémentaires à un traité mondial pourraient être envisagées. Le renforcement du Partenariat mondial sur les sols et l’élévation de son statut institutionnel constituerait une évolution progressive. L’adoption d’un protocole spécifique aux sols dans le cadre d’une convention existante, comme la Convention sur la diversité biologique, permettrait de s’appuyer sur des structures déjà établies. Le développement d’accords régionaux juridiquement contraignants pourrait servir de laboratoire pour tester des approches avant leur généralisation.
Une stratégie pragmatique consisterait à adopter une approche par étapes. La première phase pourrait consister en l’élaboration d’un instrument non contraignant établissant des principes fondamentaux et des objectifs partagés. Cette base pourrait ensuite évoluer vers un cadre juridiquement contraignant, suivant un modèle similaire à celui observé dans d’autres domaines du droit international de l’environnement.
Quelle que soit la voie choisie, l’implication des acteurs non étatiques – organisations de la société civile, communautés scientifiques, secteur privé, populations autochtones – sera déterminante pour bâtir le soutien politique nécessaire à l’émergence d’un cadre juridique international renforcé pour la protection des sols.
L’avenir de la gouvernance mondiale des sols : perspectives juridiques innovantes
Au-delà des approches conventionnelles du droit international, de nouvelles perspectives juridiques émergent pour répondre aux défis complexes de la dégradation des sols. Ces innovations conceptuelles et pratiques pourraient transformer profondément la gouvernance mondiale des sols dans les décennies à venir.
La reconnaissance juridique de la valeur intrinsèque des sols comme écosystèmes vivants, et non simplement comme supports de production ou propriétés foncières, représente une évolution fondamentale. Cette approche s’inspire du mouvement des droits de la nature, qui a déjà conduit à des innovations juridiques remarquables. En Équateur, la Constitution de 2008 reconnaît des droits à la Pacha Mama (Terre Mère), incluant implicitement les sols. En Nouvelle-Zélande, la rivière Whanganui s’est vu accorder une personnalité juridique en 2017, créant un précédent potentiellement applicable aux écosystèmes pédologiques.
Le concept de responsabilité intergénérationnelle gagne en importance dans le droit environnemental. Appliqué aux sols, ce principe implique que les générations actuelles ont l’obligation de préserver la qualité et les fonctions des sols pour les générations futures. Cette perspective temporelle étendue pourrait influencer l’interprétation des traités existants et l’élaboration de nouveaux instruments juridiques. L’affaire Urgenda aux Pays-Bas, où la Cour suprême a reconnu l’obligation de l’État de protéger les citoyens contre le changement climatique sur la base du devoir de vigilance, illustre comment des concepts juridiques traditionnels peuvent être réinterprétés pour répondre aux défis environnementaux contemporains.
L’apport des technologies numériques
Les technologies numériques transforment les possibilités de mise en œuvre et de suivi du droit des sols. Les systèmes d’information géographique (SIG) et l’observation satellitaire permettent désormais une surveillance précise de l’état des sols à l’échelle globale. Le Système mondial d’information sur les sols (GLOSIS) développé par la FAO constitue une base de données géoréférencées qui pourrait servir d’outil de vérification du respect des obligations internationales.
La blockchain offre des perspectives intéressantes pour la traçabilité des produits issus de pratiques durables de gestion des sols. Des initiatives comme le Soil Carbon Initiative utilisent cette technologie pour certifier et valoriser les efforts de séquestration du carbone dans les sols agricoles. Ces mécanismes pourraient renforcer l’efficacité des instruments juridiques en facilitant la vérification des engagements et la rémunération des services écosystémiques.
L’intelligence artificielle commence à être appliquée à l’analyse des politiques et réglementations relatives aux sols. Des systèmes experts peuvent identifier les incohérences entre différents cadres juridiques et proposer des harmonisations. Ces outils pourraient contribuer à résoudre le problème de la fragmentation du droit international des sols en facilitant une approche plus intégrée.
La financiarisation de la protection des sols représente une tendance significative. Le développement de marchés du carbone incluant la séquestration dans les sols agricoles crée de nouvelles incitations économiques pour les pratiques durables. Les obligations vertes et les fonds d’investissement responsables intègrent de plus en plus des critères relatifs à la gestion des sols. Ces mécanismes de marché complètent les approches réglementaires traditionnelles et pourraient accélérer la transition vers des pratiques plus durables.
L’émergence d’une jurisprudence internationale spécifique aux sols constitue un développement notable. Bien que les litiges directement liés aux sols restent rares devant les juridictions internationales, certaines décisions récentes montrent une prise en compte croissante de cette dimension. Dans l’affaire Costa Rica c. Nicaragua (2018), la Cour internationale de Justice a accordé pour la première fois des dommages-intérêts pour préjudice environnemental, incluant la dégradation des sols. Cette évolution jurisprudentielle pourrait renforcer le caractère contraignant des obligations relatives à la protection des sols.
La diplomatie scientifique joue un rôle croissant dans l’élaboration du droit international des sols. L’Interface science-politique (SPI) de la CNULCD et le Groupe technique intergouvernemental sur les sols (GTIS) produisent des évaluations qui influencent directement les négociations internationales. L’établissement potentiel d’un Groupe d’experts intergouvernemental sur les sols, sur le modèle du GIEC pour le climat, pourrait fournir une base scientifique solide pour de futures avancées juridiques.
Enfin, l’approche fondée sur les droits humains gagne du terrain dans le domaine environnemental. La reconnaissance en 2021 par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies du droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit humain pourrait avoir des implications pour la protection des sols. Cette perspective permet d’établir un lien direct entre la dégradation des sols et la violation de droits fondamentaux comme le droit à l’alimentation ou à la santé, ouvrant de nouvelles voies de recours juridiques.
Ces innovations juridiques dessinent les contours d’une gouvernance mondiale des sols plus intégrée, participative et adaptative. Leur développement nécessitera un dialogue constant entre juristes, scientifiques, décideurs politiques et communautés locales pour construire un cadre normatif à la hauteur des défis de préservation du patrimoine pédologique mondial.